Les Serments de Strasbourg, premier document de la langue française
Charlemagne céda l'empire à son fils, Louis le Pieux. Ce dernier le partagea entre ses quatre fils : Lothaire, Pépin, Charles le chauve et Louis le Germanique.
Lothaire recevra l'Italie, mais ne l'entend pas de cette façon, car il a l'intention de restaurer l'empire du grand-père et de se faire empereur. Entre-temps, Pépin meurt et Lothaire en reçoit les territoires : il lui revient, en même temps, la plus grande partie de l'ancien empire.
Lothaire avait toujours l'idée de restaurer l'empire, ce avec quoi n'étaient pas d'accord ses frères Charles le chauve et Louis le Germanique. La guerre fut déclarée et Lothaire fut écrasé par les armées de ses deux frères.
Mais selon quel critère l'Église, nouveau pouvoir en l'absence d'un pouvoir politique, divisera-t-elle l'Empire? La langue. Les territoires qui ne comptent que la langue « romane » passeront à Charles : du Rhône à l'Atlantique. Les territoires dont la langue est essentiellement germanique iront à Louis: du Rhin jusqu'à l'Elbe (Allemagne, la Bohème, une partie de l'Autriche). Lothaire, repenti, recevra la zone tampon, multilingue, où, souvent, s'entremêlent, sans frontières claires, les langue romanes et germaniques (les Pays-Bas, la Wallonie, les Flandres, l'Alsace, la Lorraine et la Suisse), ainsi que la Provence et l'Italie du Nord.
En 842, à Strasbourg, Charles le chauve et Louis le Germanique jurent de se prêter un secours mutuel contre leur frère Lothaire et de ne pas convoiter le territoire de l'autre. Tel est l'objet des Serments de Strasbourg.
Version romane du Serment de Louis le Germanique à son frère Charles le chauve
Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun saluament dist di en auant in quant Deus sauir et podir me dunat, si saluarai eo. cist meon fradre Karlo. et in adiudha et in cadhuna cosa. sicum om per dreit son fradra saluar dist. ino quid ilmialtresi fazet. etab Ludher nul plaid nunquã prindrai qui, meon uol, cist meon fradere karle in damno sit.
Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre commun salut, à partir de ce jour, en autant que Dieu me donne le savoir et le pouvoir, aussi sauverai-je mon frère Charles ici présent, et lui viendrai en aide en toute chose, comme on doit le faire, selon la justice, du moment qu'il en fasse autant avec moi. Et avec Lothaire, je prendrai nulle entente, qui soit contraire aux intérêts de mon frère Charles.
Les serments ont été rédigés en francique et en roman, puisque ces deux idiomes correspondaient maintenant à deux langues nationales : le germanique, dans l'État dirigé par Louis le Germanique, le roman dans celui de Charles le chauve. Il est probable qu'il y ait eu une version latine de ces Serments, le latin agissant comme langue universelle. Les documents originaux sur lesquels ont été gravés ces serments n'ont, cependant, jamais été retrouvés. Ce que l'on a, dit-on, serait une citation, rédigée six mois après, de Nithard, cousin des petits-fils de Charlemagne, dans son livre Histoire des fils de Louis le Pieux.
La version romane des Serments est présentée souvent comme le premier document « français ». En fait, elle est le premier document qui, implicitement, fait de la langue romane une langue nationale, celle de la population d'origine franco-romane de l'ancien empire de Charlemagne.