Ferdydurke de Witold Gombrowicz

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Ferdydurke de Witold Gombrowicz

Messagepar apollonia » Jeu Sep 18, 2008 10:12 am

Extraits de "Ferdydurke" de Gombrowicz, éditions folio poche:

P.79: "Ah! Ah! manger du pain noir avec les valets de ferme, monter sur les chevaux sans selle et galoper dans les prairies...[...] Il était maintenant un garçon à l'école rêvant à la liberté des garçons de ferme-et soudain ouvertement, sans plus de précautions, il me fit un sourire éclatant."

P.82: "Une idée démente! Mientus proposait à Siphon un duel de grimaces. Tous se turent et le regardèrent comme s'il avait perdu le sens et Siphon se mit à chercher une riposte ironique. Mais son visage exprimait une âpreté si dabolique qu'on fut contraint de constater la terrible réalité de sa proposition. Les mines, les grimaces! A la fois arme et torture! Cette fois le combat serait sans quartier."

P.83 : « Le vieillard, tout à fait inconscient de l’effroi qu’il provoquait, promena un regard bienveillant sur la théorie des noms inscrits, hésita, réfléchit, s’amusa tout seul et finalement clama avec confiance :
-Mydlakowski !
Il apparut très vite que Mydlakowski se montrait incapable de traduire le César au programme et même, pis encore, ignorait que animis oblatis fût un ablatif absolu.
-Oh, M. Mydlakowski ! dit le gentil vieillard avec un air de reproche sincère. Vous ne savez pas ce que signifie animis oblatis ni quelle est cette forme grammaticale ?pourquoi ne savez-vous pas ?

Et extrêmement attristé, il lui mit un zéro. Puis il se rasséréna et, dans un nouvel élan, choisit dans les K Koperski avec la pensée que ce choix réjouissait l’intéressé, dont il encouragea l’émulation par des regards et des gestes pleins d’une confiance sans réserve. Mais ni Koperski, ni Kotecki, ni Kapuscinski, ni Kolek ne comprenaient animis oblatis : ils restaient immobiles devant le tableau noir, hostiles, muets, et le vieillard manifestait par un geste vif son désenchantement passager, après quoi il continuait à interroger dans un afflux de confiance croissante, […]. Mais personne ne répondait. Il avait déjà inscrit près de 10 zéros dans son carnet… »

P.115 : « D’autre part que signifie votre culte d’un art qui serait contenu dans les « œuvres » ? Pourquoi imaginez-vous sottement que l’on admire tant les « œuvres d’art » et qu’on défaille de délices en écoutant une fugue de Bach ? N’avez-vous jamais réfléchi au caractère impur, trouble, incomplet de ce domaine culturel que vous voulez enfermer dans votre phraséologie simpliste ?
Vous commettez sans cesse une erreur commune : vous réduisez les rapports de l’homme avec l’art à la seule émotion esthétique et vous la considérez sous un aspect purement individuel, comme si chacun de nous communiait seul dans son cœur (ou son estomac) avec l’art complètement isolé de ses semblables. Or, en réalité, nous avons affaire ici à un mélange composite d’émotions et aussi de gens qui, s’influençant mutuellement, produisent une émotion collective. »

P.116 : « Mais qui pourrait dire quelle est dans cette Beauté, la part de la beauté véritable et la part des processus historiques et sociologiques ? L’humanité a besoin de mythes : elle choisit tel ou tel de ses nombreux auteurs (mais qui pourrait approfondir et révéler les circonstances de ce choix ?) et le place au-dessus des autres, elle commence à l’apprendre par cœur, elle retrouve en lui ses propres secrets, elle lui subordonne ses réactions. »

P.146 :
« Il tira et le manqua.
Il l’avait manqué. Alors l’Analyste leva la main à son tour et visa aussi le cœur de son ennemi. Déjà nous nous préparions à pousser un cri de victoire. Il semblait désormais certain que si l’un avait tiré synthétiquement sur le cœur, l’autre devrait lui aussi tirer sur le cœur. Il ne semblait vraiment pas y avoir d’autre issue, pas d’échappatoire intellectuelle. Mais soudain l’Analyste, en un clin d’œil, fit un effort surhumain pour se contenir, gémit tout bas, hurla, fit un écart imperceptible, sortit de l’axe normal le canon de son pistolet et tira à côté…sur le petit doigt de Mme Philidor, qui se trouvait à proximité en compagnie de Flora Gente. Ce coup de feu fut extraordinaire :
Le doigt tomba par terre. Mme Philidor, stupéfaite, porta la main à sa bouche. Quant à nous, les témoins, nous perdîmes notre calme et ne pûmes nous empêcher de pousser un cri d’admiration. »

P.189 : « Et encore la même chose ! Et encore le Prophète des Prophètes, le professeur nous fatigue avec ces prophéties, il doit gagner sa vie, les élèves sont épuisés et prostrés, les doigts de pied tournent dans les souliers comme des toupies, et les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles sèches, archi-sèches, et les chaussettes de l’archidussèche et les prophètes de l’archichaussette, on s’ennuie, on s’ennuie ! »

P.216 : « Ce fut un reniflement laid et vulgaire qui semblait signifier : « Regarde tant que tu voudras, ça m’est égal, je renifle. » C’est ainsi que les jeunes filles montrent leur souverain mépris. Mais c’est précisément ce que j’attendais. Quand elle eut commis cette erreur tactique de renifler, je reniflai à mon tour derrière la porte, distinctement mais pas trop fort, comme si victime de la contagion, je ne pouvais plus me retenir. Elle s’arrêta, effrayée, ne pouvant pas supporter ce dialogue nasal, mais son nez, une fois mobilisé, se rappelait à l’attention : après une brève résistance, elle fut obligée de sortir son mouchoir et de se moucher, après quoi elle eut, à de longs intervalles, de légers reniflements nerveux auxquels je fis écho aussitôt derrière ma porte. Je me félicitais d’avoir pu si facilement conquérir son nez. »

P. 229 : « Mais le plus étrange était que là non plus on ne mentionnait pas les mollets. Plus étrange encore, même les titres de ces brochures ne contenaient pas le moindre mollet. Ce n’étaient que Pâles Aurores et Aurores Naissantes, Aube Nouvelle et Nouvelle Aube, et Epoque du Combat, et Combat de l’Epoque, et Triste Epoque, et Jeune Epoque, et Jeunesse Vigilante, et Vigilante Jeunesse, et Jeunesse Combattante, Jeunesse Marchante, Jeunesse Debout, et Salut les Jeunes, et l’Amertume de la Jeunesse, et les Yeux de la Jeunesse, et les Lèvres de la Jeunesse, et Printemps Nouveau, et Mon printemps, et le Printemps et Moi, et Rafales de Printemps, et Rafales de Mitrailleuse, et Sabres, Sémaphores, Antennes, Hélices, et Mon Baiser, Ma Caresse, Mes Langueurs, Mes Yeux et Mes Lèvres (pas un mot de mollets), le tout rédigé dans un style poétique avec des assonances artistiques, ou sans assonances artistiques avec des métaphores hardies ou dans un verbe discrètement mélodieux …Mais il n’y avait à peu près pas de mollets, il y en avait très peu, beaucoup moins que la normale. »


P.283 : « …un certain colonel de zouaves, assis dans le public à une tribune latérale, envia soudain les deux sportifs pour leur jeu irréprochable et passionnant, de sorte que, voulant montrer ce dont il était lui aussi capable, en présence de six mille spectateurs et surtout de sa fiancée , il prit son revolver et tira sur la balle en plein vol. La balle creva et tomba en pièces : les champions, privés tout à coup de leur but, essayèrent pendant quelques temps de donner des coups de raquettes dans le vide, mais, voyant l’absurdité de ce jeu sans balle, ils s’attaquèrent à coups de poing. Il y eut un tonnerre d’applaudissements. »
(mon passage préféré)

P.294 : « Et juste au moment ou il terminait sa phrase, une brise légère nous caressa les joues, ce fut la fin des maisons, des rues, des égouts, des caniveaux, des coiffeurs, des fenêtres, des ouvriers, des femmes, mères et filles, des parasites, des choux, des odeurs, des ruelles, des poussières, des commerçants, des apprentis, des souliers, des blouses, des chapeaux, des hauts talons, des tramways, des boutiques, des légumes, des voyous, des enseignes, des objets, des regards, des cheveux, des sourcils, des bouches, des trottoirs, des ventres, des instruments, des organes, des hoquets, des genoux, des coudes, des vitres, des cris, des toux, des éternuements, des crachements, des conversations, des enfants et du bruit. La ville avait disparu. Devant nous, des champs et des bois. La grande route.
Mientus entonna : Hourra ! Par monts et par vaux…
Hourra ! Par monts et par vaux… »

P.325 : « Je le pressai de questions et il finit par avouer à regret, en se cachant le visage dans l’ombre : - je l’ai obligé.
Mon sang ne fit qu’un tour.
-Comment ? Comment ? Tu l’as obligé à te taper sur la figure ? Il va te croire fou ! […] C’est du joli !
Et si mes oncles et tante l’apprennent…
-C’est de ta faute ! dit-il, morose. Il ne fallait pas le frapper. C’est toi qui as commencé. Tu as voulu jouer au jeune seigneur ! Il a fallu qu’il me frappe sur la gueule puisque toi tu l’avais frappé.
Sans cela, il n’y avait pas d’égalité et je n’aurais pas pu fra…fratern… ».

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